Changement de modèle, clé USB, Cyril Dion, poursuite… Il y a quelques jours, j’ai fait un rêve, qui rejoint l’écologie, les récits à inventer. Je le partage car il rejoint mes interrogations profondes et autres fulgurances qui s’invitent dans mes réflexions.
23H15.Je me glisse dans mes draps soyeux et me prépare à rentrer dans le velours de la nuit. Etant sujet à des problèmes d’endormissement, je prends mes deux petits comprimés de Cap Sommeil, comprenant mélatonine et Gaba (moins de 2 mg pour 2 comprimés, on se détend !). La neuro-hormone secrétée par la glande pinéale et le neurotransmetteur inhibiteur du système nerveux central font leur job. Mes mains se décrispent. Mes paupières s’avachissent sous le poids du rideau. Je m’engourdis. A ce moment de vulnérabilité et de candeur, je ne sais pas encore que je serai le témoin privilégié d’une aventure extraordinaire, cette nuit-là.
00H00/7H14. Mon rêve commence dans les années 2020/2030. Une époque très proche de la nôtre, mais quelques années après le deuxième mandat de Donald Trump. Le monde est dans un état de fortes tensions, notamment sur la question de l’accès aux ressources naturelles. Vivre et survivre.
Un homme marche dans la rue. Il est visiblement tendu. Ses mains moites agrippent une mallette noire qui lui glisse entre les doigts. Il la plaque contre son torse transpirant sous sa chemise à carreaux. Mais il reprend la position naturelle de « portage de mallette » pour mieux se confondre à la démarche des costumes gris, les seigneurs des villes. Il prend les transports. S’assoit. Le train berce cet homme frêle, à droite, à gauche, selon le roulis des courbes ferrées. On dirait qu’il danse.
Il regarde à l’extérieur, au loin. Il donnerait tout pour se muer en oiseau et fuir d’un battement d’ailes ses découvertes vertigineuses. Mais, Martin n’est pas un piaf. Martin est informaticien, spécialiste des algorithmes et de la modélisation à grande échelle. Ses lunettes rondes glissent le long de son nez. La sueur, toujours. Les stations s’enchaînent, comme un chapelet qu’on égraine. Au bout de la ligne, il descend, prend les escaliers, les enjambe 3 par 3, regarde par dessus son épaule. Un brusque changement de direction, avant de reprendre une allure normale. Sorti de la ville, il marche, seul. Il repense à ce qu’il a réussi à analyser, synthétiser, modéliser. Au bout d’une heure et demie de marche, à la lisière de la forêt, il attend, écoute, se retourne une dernière fois, puis, emprunte le sentier pour s’enfoncer dans les bois. Epuisé par trois jours et trois nuits sans sommeil, il s’assoit contre un chêne sessile et s’assoupit. A son réveil, une main se pose sur son épaule :
-« Martin… Martin… Je suis là ». Martin tressaille et le repousse dans son réveil, avant de balbutier :
-« je… je suis désolé. Je dormais, et je… Merci d’être venu ».
L’homme l’aide à se redresser d’une poigne vivace. Ils marchent ensemble, en silence. Ils atteignent une longère à la sortie du bois.
« Rentrez, je vous en prie », dit l’homme aux cheveux ébouriffés, d’une voix calme et chaleureuse. « Un café ? », propose-t-il à Martin, visiblement préoccupé.
-Non, merci. Cyril, on a vraiment peu de temps. Il faut que je vous parle.
-Je vous écoute…
-Cela fait 5 ans que je réfléchis à notre modèle sociétal. On va dans le mur.
-Ça, je suis bien placé pour le savoir…. On réfléchit encore à une croissance infinie avec des ressources finies et…
-On n’a pas le temps, Cyril. Ce que j’ai à vous dire concerne ce qu’on en fait.
-Oui, ben, il faut changer de système….
-Certes, mais moi, je suis au delà des « y’a qu’à », « faut qu’on »…
-Ah, mais moi aussi, Martin, croyez bien que…
-Ecoutez-moi, s’il vous plait. J’ai mis au point un nouveau modèle de développement. Il n’a pas encore de nom. J’en sais rien. On s’en fout. Je me suis juste pris la tête pendant 5 ans pour tout imaginer : le mythe du développement durable, de la croissance verte, l’épuisement des stocks de poissons, l’élevage intensif, l’acidification des océans, la fonte du permafrost, et surtout, des solutions comme l’agréoécologie à grande échelle ou la mise en place d’une autre récit concernant les possessions matérielles et la question de l’argent…
-Ça me parle. Je sais pas si vous l’avez lu, mais c’est que je raconte dans mon dernier livre, « Petit manuel de résistance contempo… »
-Mais écoute-moi, putain ! Enfin, je veux dire, laisse-moi finir, on a peu de temps. Dans cette clé USB, tu as tout. Tout ce qu’il faut pour jeter les bases d’un nouveau monde. C’est pas seulement un récit. J’ai tout imaginé, tout modélisé dans cet algorithme. Notre modèle social, la puissance publique, les entreprises, la sécurité, l’éducation, la culture, les transports, l’énergie, l’accès aux ressources naturelles, le respect du vivant, l’harmonie des cultures…J’ai aussi repensé la question de l’argent au niveau mondial, mais aussi pour toutes ceux et celles qui sont devenus propriétaires, qui ont accumulé des possessions matérielles, de Bill Gates au paysan de l’île de Ré qui paie l’ISF mais qui galère avec sa retraite agricole.
-Ah ouais, et t’en fais quoi ? Tu leur dis que ce qu’ils ont accumulé, ils vont pouvoir le transformer en jetons pour un « monde meilleur » ?
-Mieux que ça… En fait, j’ai sublimé la question de l’argent. C’est-à-dire que l’argent encore là, qu’il circule ou qu’il dorme, servira à la construction de la première phase de ce nouveau modèle.
Cyril palpe machinalement sa barbe. Martin s’installe à côté de lui sur le canapé, lui montre tous ses modélisations… Sceptique au départ, le visage de Cyril s’éclaircit, se détend, se relâche au fur et à mesure des explications de Martin, toujours aussi tendu.
-Ecoute, c’est magnifique. Ce que tu as accompli, c’est…J’ai pas trop les mots, là. Mais c’est.. Tu tiens quelque chose, là, tu sais Martin… Bon, c’est quoi le next step ?
-On n’a pas beaucoup de temps.
-Mais quel est le problème ? Pourquoi dis-tu ça depuis le début ?
-Mes ordis ont reçu des tentatives d’attaques, j’ai dû tout débrancher. Certaines venaient de grands industriels du secteur de l’énergie, des transports et de l’industrie aggroalimentaire….
-Oui, mais bon, faut pas tomber dans le complot ou la parano. On a le droit de penser, quand même, c’est pas un délit !
-… d’autres venaient des services secrets.
-…ok. Et ?
-Mais t’as pas compris, encore ? Ce que j’ai trouvé, là, ça casse tout, ça pète tout. Moi, j’ai dessiné un autre monde. Eux voient la fin du leur. Logique. Du coup, j’ai tout débranché. Tout effacé. Tout mis sur la clé. Je suis parti de chez moi et je t’ai fait parvenir des messages pour qu’on se retrouve.
-Pourquoi moi ? Que veux-tu que je fasse ?
-Tu connais toutes ces questions, t’es médiatique et t’as déjà prouvé des choses. Et puis, les gens t’écouteront plus qu’un informaticien à lunettes dont tout le monde se fout. Il faut partir. J’ai ouvert mon ordi, je suis sûr qu’il y a un mouchard.
-Mais qu’est-ce que je peux faire ? Attends, j’ai peut-être une solution… Sur Open, peut-être…
-C’est quoi ?
-Un outil participatif, worldwide, qui permet aux citoyens de mettre en ligne des projets de ouf…
-world quoi? Trop tard ! Ils arrivent !
Martin montre la fenêtre du doigt. Une vingtaine d’officiers de gendarmerie les encerclent et progressent lentement vers la maison. Cyril prend son ordi, son smartphone, les glisse dans son sac et se précipite dans la cuisine.
-Cyril, mais qu’est-ce que tu fous ? On fait quoi ? On fait quoi, putain !?
-J’sais pas ! Viens, suis-moi ! Vite !
A deux, ils déplacent le lombricomposteur pour bloquer la porte de la cuisine. Cyril ouvre une trappe. Tandis que les forces de l’ordre frappent à la porte, les deux hommes s’engouffrent à l’intérieur. Ils rampent pendant 50 mètres dans le noir absolu, usent leurs avant-bras, liment leurs coudes. A la sortie, ils traversent un champ de coquelicots et rejoignent le début de la forêt à grandes enjambées. Un hélicoptère les repère. Les gendarmes ressortent de la maison et se mettent à leur poursuite…
Martin s’essouffle. Il faut dire qu’il a passé ses 5 dernières années dernière son ordinateur, a analyser des graphiques, réaliser des essais, modéliser son nouveau monde… Sa condition physique ne lui permet pas de vivre l’imprévu.
-Vas-y, prend la clé. Je peux plus, là.
-Mais non, reste avec moi, on va y…
-Mais trace, putain, casse-toi, go go !
-Je ne peux pas te laisser.
-Mais si, tu peux. T’en fais pas. Allez, trace ! T’arrête pas !
Cyril laisse Martin comme il l’avait trouvé, à l’ombre d’un chêne sessile. Il change de direction. Il trouve un second souffle et distance les gendarmes d’une foulée puissante, solide, libre et déterminée. Il atteint rapidement des installations au pied d’un immense chêne : des baudriers, des sangles, des cordes suspendues au bout desquelles s’attachent des hamacs et des paniers en osier.
Devenu éducateur de grimpe d’arbre, Cyril passe la plupart de ses moments méditatifs en haut des arbres, parmi les branches, les feuilles, les oiseaux. Avec des gestes économes, il enfile son harnais et se hisse rapidement à l’aide de ses bras et de ses jambes. En une minute, il atteint le point culminant de la corde. Les chiens des gendarmes aboient pour signaler sa présence. Suspendu dans les airs, muni de son couteau, il coupe tous les autres liens des installations, qui chutent sur le sol comme des couleuvres sans tête.
Un moment d’hésitation. Il sectionne également sa corde.
Assis sur un demi hamac, il connecte la clé USB et son smartphone à son ordinateur. La 4 G lui permet d’aller sur le site d’Open… Le téléchargement du fichier « #justanewworld » débute. Ni hommes ni canidés ne sont équipés pour montrer un tronc de cette circonférence. Au sol, le capitaine Weiser, désemparé, murmure dans son talkie avant de tenter la diplomatie d’autorité :
« Monsieur Dion, gendarmerie nationale. On a quelques questions à vous poser. Il faut descendre. »
– Descend pas, descend pas, descend jamais !, s’égosille Martin, haletant, menotté dans le dos.
Le téléchargement continue sa progression. 57%.
-J’aimerais bien, capitaine, mais je ne peux plus. Quelqu’un a coupé ma corde, je suis beaucoup trop haut pour sauter. Je vais me briser les os », explique Cyril, avec componction, toutefois indécelable pour l’agent.
72%.
Le capitaine passe un appel. Une minute s’écoule. On l’entend murmurer : « vous êtes sûr ? Très bien, je fais le nécessaire ».
91%.
-ok, alors on va te faire descendre, le colibri.
Le capitaine dégoupille sa grenade lacrymogène. Une grenade autocollante de nouvelle génération.
97%.
Le projectile atteint le hamac de Cyril. Les volutes blanches d’ypérite s’échappent. Les larmes coulent et brouillent sa vision. L’odeur de poivre le saisit à la gorge, au nez…
98%.
Cyril fait des mouvements anarchiques avec ses bras pour dissiper la fumée. Mais la grenade libère toujours son poison, tel un génie surgissant indéfiniment de sa lampe.
L’atmosphère devenant irrespirable, il décide d’amorcer la descente. Il monte le son de l’ordi au maximum. Suspendu par les bras à son hamac, il retient sa respiration. Ferme les yeux. L’ordinateur relié à la clé et au téléphone tient en équilibre dans un recoin du hamac, charge toujours ses octets…
99%.
Il tient, à la force de ses avant-bras. 8 mètres plus bas, les chiens aboient sans soif. Les gendarmes s’organisent pour le réceptionner. Dans sa tête, l’océan. C’est la pensée qui l’apaise, immédiatement et définitivement, où qu’il se trouve. Son rythme cardiaque s’économise pour tenir jusqu’au…
100% !
Cyril perçoit le signal sonore de fin de téléchargement. File uploaded successfully s’affiche sur l’ordinateur. Il ne le voit pas. Mais il sait. Il lâche le hamac et chute, esquissant un bref sourire soulagé.
7H14. Je me réveille avant que Cyril ne se brise la nuque au pied des bottes. Je ne sais pas combien de temps a duré mon rêve, mais il est encore extrêmement limpide. Je note les mots : « Martin, Cyril, clé USB, forêt, grimpe d’arbre, new world, pensé à tout » pour retrouver la trame.
Bien sûr, ce n’est qu’un rêve. C’est donc baroque, décalé, parfois ridicule (« écoute-moi, putain ! », lol), irréaliste, complètement fou (je ne sais même ce que signifie « modélisation à grande échelle »). Mais il rejoint aussi mes réflexions des six derniers mois sur la persistance de nos croyances quant à notre modèle de société, son éventuel effondrement, les initiatives horizontales qui fleurissent ci et là. Je lis un peu, j’écoute beaucoup de podcasts et marche régulièrement. Ça m’aide à trier les infos, à me parler, à penser par moi-même. Sans doute que l’organisation du Salon de la Nutrition 2019 alimente aussi cette aventure, comme la nécessité d’inventer de nouveaux récits (d’où la présence de Cyril Dion), de faire intervenir le rêve, la mythologie et l’utopie pour nourrir et réensemencer le champ(s) des possibles. Le fait que « la » solution vienne d’un citoyen, dit des choses, aussi. J’arrête là. Le but était de vous le partager, pas forcément de l’interpréter. Pas tout de suite . J’ai un boulot de dingue ce week-end, mais ce rêve avait « besoin » (envie ?) de sortir, là, maintenant. Namasté.
Ps : les personnages et les situations de ce récit ne sont pas purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé peut être fortuite, ou pas, puisque c’est un rêve. Mon rêve.