La Semaine du goût 2016 se tiendra du 10 au 16 octobre prochain. L’occasion de pousser un coup de gueule, car cette Semaine du goût 2016, comme les autres, a de nombreuses raisons de me/vous dégoûter. Explications.
Transmettre, éduquer, sauvegarder la culture des patrimoines culinaires et le bien manger aux jeunes générations. 27 ans que ça dure. Le goût, ça s’apprend. Ainsi, la Semaine du goût 2016 favorisera « les rencontres entre professionnels de la terre à l’assiette avec le grand public et les « publics cibles » (de la maternelle à l’enseignement supérieur) ». Publics cibles, voire ciblés. Une intention louable, dont le Ministère de l’Education Nationale est partenaire depuis de nombreuses années. Mais, qu’est-ce qui cloche au pays du bien manger ? Comme souvent, l’histoire éclaire.
Retour aux sources
Octobre 90. Création de La « journée du goût ». Par qui ? La collective du Sucre, une organisation interprofessionnelle du secteur du sucre, dont le but est plutôt de nous faire consommer plus que moins. Normal. Enfin, logique. Jean-Luc Petitrenaud, chroniqueur gastronomique connu pour ses « escapades » est partenaire/orchestrateur de l’évènement. Le but ? Contrer la « mode du light », laquelle opte pour moins de sucre ou l’usage de solutions alternatives. La journée a lieu place du Trocadéro, et 350 chefs dispensent leurs premières « Leçons de Goût® » aux élèves de CM1-CM2 des écoles parisiennes. La journée devient « Semaine du goût » dès 94, et s’étend dans toute la France, avant que la Suisse (2001), la Belgique (2011), le Japon (2013) et la Roumanie (la Sărbătoarea Gustului) ne s’initient au rituel, aux ateliers, aux rencontres. La Semaine du goût® devient marque déposée en 2002. Sa fiche Wikipédia, non contestée depuis sa mise en ligne, place la manifestation « dans un but commercial et éducatif, en collaboration avec des écoles ». L’histoire avait pourtant bien commencé….
Les fossoyeurs du goût
Dans les années 70, Jacques Puisais dirige un laboratoire d’analyses sur l’alimentation et l’environnement, à Tours. Il forme des instituteurs, lesquels enseignent dans des « classes de goût » dès 71. Le programme fait mouche avec des leçons centrées sur les 5 sens de la dégustation, les spécialités régionales, les infos sur la conversation et les aliments. En 76, il fonde sous forme associative l’Institut Français du Goût. Problème : pendant le temps de formation des enseignants (environ 4 jours/mois), le ministère de l’Education Nationale doit payer des remplaçants. Pas bien pour nos finances. « A Paris, ils ont dit : le sensoriel, ça ne se montre pas. On va se concentrer sur la nutrition et l’hygiène, des paramètres mesurables », me confie-t-il au téléphone. Les classes ont été arrêtées par décision politique, puis l’industrie a donc repris l’idée du goût à son compte en France, laissant Jacques Puisais prendre son balluchon jusqu’au Japon, où sa méthode d’analyse sensorielle fait florès. La Semaine du goût ? « Elle a au moins un point positif : faire venir des professionnels de la cuisine, de l’hôtellerie, de la restauration pour parler de leur passion et éventuellement de susciter des vocations. Pour le reste, les industriels sont les fossoyeurs du goût et des sens. »
A retenir : l’initiative a été crée par la collective du Sucre. Le Ministère de l’Education Nationale est partenaire. La manifestation est à but commercial et éducatif. Et les JT relaient l’info, dans un sujet « proximité », comme on dit :
Les années passent, la Semaine du goût® traverses les époques et cible des thématiques chaque année : chasse au gaspillage, bon pour la planète, « bien, bon et pas cher ». Il faut que ça soit bien (là, je ne comprends pas), bon (agréable aux papilles) et pas cher (il ne faudrait surtout pas que l’on rehausse la part de notre budget alimentaire, les français ont d’autres dépenses). Ainsi, la Semaine du goût® fait « fructifier le capital sympathie du sucre », comme l’indiquent mes confrères Christophe Labbé et Olivia Recasens dans cet article du Point de 2004. Les politiques se succèdent pour des photos emblématiques (Bruno le Maire, Anne Hidalgo, Stéphane le Foll…). Lors de l’édition 2015, plus de 4 300 classes françaises avaient suivi une leçon de goût. Bref, tout roule. Pourquoi ça me démange, alors ?
Tout simplement parce que les acteurs privés qui s’engagent aux côtés du goût ne sont pas neutres. Les entreprises, collectifs et autres fédérations préservent leurs intérêts. Il n’y a rien de caché ou de sournois. Ils font leur job : faire vendre mieux et plus. Pour cela, ils s’assurent la captation d’un public friand de nouveautés, assez malléable, et dont le palais n’est pas encore très formé : les jeunes. Voire très jeunes puisque la manifestation commence dès la maternelle. Nous le verrons, les lobbys (un lobby organisé fait un travail d’influence, de pression, ça ne me dérange pas) industriels (du sucre, du lait ou des viennoiseries pour ne citer qu’eux) ont fait un travail remarquable pour s’arroger le concours des pouvoirs publics et piquer, le temps d’une semaine certes, la mission des parents, à savoir éduquer et transmettre.
Deux choses me dérangent :
– d’une part, la Semaine du goût 2016 montre le désengagement de l’Etat au profit d’acteurs privés. Au lieu d’élaborer une vraie politique de prévention de santé publique, on laisse à des fédérations et des entreprises, transmettre ce qu’est par exemple un « vrai petit déjeuner à la française ».
– d’autre part, cibler les jeunes générations, nos enfants, mes enfants, me pose problème, puisque les messages subliminaux voire très explicites de certains outils de propagande (action de diffuser, de propager, de faire connaître, de faire admettre une idée) ne s’inscrivent pas dans un message de santé. De plus, tout cela se passe dans les écoles primaires et les collèges ! Il faut savoir que chaque année, environ 2 000 nouveaux cas de diabète de type 1 (celui des jeunes, donc) sont diagnostiqués en France. Une pathologie qui augmente de 4 à 5 % chaque année. L’obésité, facteur de risque pour les maladies cardio-vasculaires et certains cancers, menace également nos têtes blondes : 15% des jeunes français sont en surpoids ou obèses, même s’ils se situent dans la fourchette « basse » par rapport à d’autres pays de l’OCDE.
Entrons dans le vif du sujet, et examinons les acteurs, puis les « actions » de la Semaine du goût 2016.
Des partenaires en or
Sur le site de La semaine du Goût 2016, en bas de page, rubrique « découvrir », puis Partenaires, nous avons donc des partenaires associés, comme le guide du Routard, la fédération internationale des marchés, dont le parrain est Jean-Luc Petitrenaud, la fédération Nationale des Chasseurs (#pourquoi) ou Euro-toques, fondé par Pierre Romeyer et Paul Bocuse, lobby des chefs cuisiniers pour la France et surtout l’Europe. On trouve les partenaires des Tables du goût, les hôtels Campanile. Ensuite, les partenaires des Rencontres Chefs de demain :
- Prova : fabricants leader d’extraits de vanille, de cacao et de café destinés à l’industrie alimentaire ;
- Bridor : produits de boulangerie et de viennoiserie pour les pros de l’hôtellerie et de la restauration ;
- Les métiers des arts de la table : Le Comité Francéclat, O service, L’ENS Aama (arts appliqués et métiers d’art) et le magazine en ligne Un œil en salle ;
- Président-professionnel. Vous savez, le camembert Président ? Il s’agit d’une marque du groupe Lactalis (Président, Galbani, Lactel…), leader mondial des produits laitiers ;
- Le CNIEL. Pas la CNIL. Le CNIEL : Le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière. Donc, le lobby du lait ;
- Un blog : restauration21.fr, fondé en 2009 de Lydie Anastassion, journaliste spécialisée restauration et développement durable.
Enfin, les partenaires Club France du goût
C’est la nouveauté. Une table ronde avec des acteurs qui n’ont que « rarement l’occasion d’échanger ensemble » pour apporter de nouvelles réflexions. Thème d’avril à septembre : « Mieux manger pour vivre mieux ». Il y en a deux cette année :
- le p’tit déj à la Française : le lien renvoie au logo, pas à un site. Compliqué d’en savoir plus. Il s’agit d’un collectif qui lutte contre le déclin du petit déjeuner, principal repas de la journée. Bien vu, même si le logo, un croissant, bol de céréales jus de fruits, n’augure rien de bon (très acidifiant + indice glycémique explosif). Lorsque l’on clique sur le pdf du 19 juin, la synthèse finale du Cluster n’est pas téléchargeable. En cherchant un peu, j’ai trouvé une synthèse du dialogue des parties prenantes de mai 2016, téléchargeable ici. En gros, sur l’intérêt du p’tit déj à la française : pain, beurre, confiture, lait, jus de fruit/fruit.J’en parle juste après.
- L’enseigne d’hypermarchés Auchan, du groupe Mulliez, sur le thème du bien manger à petit budget.
Désolé, c’était fastidieux, mais nécessaire.
A retenir : Tous partenaires confondus, nous avons donc : un fabricant d’extraits de vanille et café, un autre de boulangerie et de viennoiserie pour la restauration, une marque du groupe Lactalis, le CNIEL = le lobby des produits laitiers, « nos amis pour la vie» et un collectif pour le petit déj’ tradition (baguette/produits laitiers et confitures, le trio gagnant).Tournons la page et détaillons. ↓↓↓