Jamais sans mes traditions
En 2016, ce collectif ne jure que par l’« incontournable tradition de la tartine ». Il faut dire que la création de ce collectif illustre ses objectifs : comme le repas du petit-déjeuner était en déclin, les professionnels des jus de fruits (UNIJUS), du lait de consommation (Syndilait), du pain (Fédération des Artisans Boulangers- Pâtissiers de Paris) et des confitures et compotes de fruits (groupe « fruits » de la FIAC) ont créé le « Collectif du petit-déjeuner à la française », en partenariat avec le Club de la Table Française. Ils lancent en 2014 un manifeste pour mettre en valeur les bienfaits de ce « pilier de l’équilibre alimentaire à la française ». Bon point : ils distribuent 1 million de petits déjeuners aux plus démunis. J’approuve cette initiative. Pour le reste…
Le docteur Laurence Plumey, médecin nutritionniste récite une belle leçon de nutrition dans le dossier de presse du collectif : « le petit-déjeuner est une vraie nécessité chez les enfants : ils en ont besoin non seulement pour leur énergie du matin et leurs capacités de concentration à l’école (via les glucides apportés par le pain, les céréales, la confiture, le chocolat …), mais aussi pour développer leur capital calcique nécessaire à leur croissance et solidité osseuse. Le petit-déjeuner est en effet un repas privilégié pour la consommation de produits laitiers comme le lait (un bol de lait couvre 30 à 40% de son besoin en calcium) et il ne faut pas rater cette occasion ! Le jus d’orange est un complément utile pour fournir la vitamine C nécessaire au bon fonctionnement de l’organisme. »
Ne ratez pas l’occasion. Un bol de lait, du pain, des céréales un verre de jus de fruits. Hum, donc, le lait = lait de vache, forcément (un peu de caséine ne nuit pas), du pain (il est question de petit-déjeuner complet, mais jamais de pain complet dans ce dossier de presse), des céréales (lesquelles ? un trio de flocons de céréales bio, non raffinées ou plutôt les mueslis et céréales à 40 % de sucre ?) et un verre de jus de fruits (pressé, extracté, ou du jus de sucre industriel ?). Bref, des bombes de glycémie pour nos enfants, lesquels ont un gros coup de fatigue, puis une hypoglycémie réactionnelle, comme je l’explique dans ce post. On a fait mieux, bien mieux, question équilibre alimentaire.
Confits d’intérêts
De son côté, l’enseigne Auchan a mené une réflexion sur le bien manger à petit budget. Excellente initiative. Une synthèse de la réunion de travail (disponible ici), avec des experts triés sur le volet, comme le chef du service Nutrition à l’Institut Pasteur de Lille, Jean-Michel Lecerf. Est-ce le même nutritionniste qui est aussi président de l’association Pain Qualité Santé ? Aussi directeur scientifique du Centre d’Information des Charcuteries-produits Traiteur, une association d’industriels ? Aussi modérateur ponctuel pour les biscuits LU France pour des conférences sur la nutri des ados ? En tous cas, son expertise fait autorité : « La notion de médicalisation de l’alimentation associée à une focalisation excessive sur l’aliment a conduit à faire croire qu’il y avait de « bons » et de « mauvais » aliments, ce qui est une bêtise. Il y a juste des aliments qui contribuent beaucoup moins bien que d’autres à la nutrition. ».
Encore autre chose qui me chiffonne. Que fait ce nutritionniste dans ce Club France du goût ? Son opinion est-elle exempte de conflits d’intérêts ? Sur le fond, il y a de bons et mauvais aliments pour la santé, comme ceux qui font grimper l’insuline trop vite, ceux qui sont bourrés des mauvais Omega 6… Non, ceci n’est pas une bêtise. Il y a presque autant de calories dans une canette de coca que dans un demi avocat. On compare les nutrition facts, pour être sûr ? Toujours remettre la faute implicitement sur la responsabilité du consommateur : pourquoi met-il ceci dans son assiette ? C’est vrai quoi, il n’y est pas forcé. Posons-nous la question de son comportement, cela évitera de penser/panser celle des produits intrinsèquement mauvais pour la santé et des feux rouges et verts sur l’étiquetage nutritionnel. Ce sont d’ailleurs les mêmes arguments que la firme américaine de Cola : « c’est la responsabilité du consommateur + l’obésité est multifactorielle, donc bougez-vous plus ! Nous, on soutient de grands évènements sportifs, donc on est du bon côté ! ». Pour ceux qui veulent aller plus loin sur cette question, je vous recommande chaudement l’enquête du sociologue et coach en nutrition Yves Patte dans le n°154 de « Sport et Vie ».
Cela étant dit, je reconnais que Jean-Michel Lecerf dit d’autres choses bien plus intéressantes dans le document, comme la transmission de l’envie de cuisiner par les parents + le rituel d’un repas. Totalement d’accord. J’ai été dans les jupons de ma mère et de mes grands-mères (ok, mon père faisait aussi du riz pilaf au safran deux fois par an, mais guère plus) et j’invite souvent les plus jeunes en cuisine pour leur apprendre le BA-BA des bonnes choses. Mais force est de constater que la vision des « bonnes choses » diffère d’une personne à l’autre.
Débit de lait
Pour preuve : on continue ensuite dans la surenchère laitière : « Inciter à consommer une fin de repas, produits laitiers ou fruits, est également le moyen de s’assurer d’être rassasié et d’éviter le grignotage entre les repas » ajoute Anne-Lise Le Pourry (Maitres Laitiers du Contentin) ». On a donc la directrice R & D d’un spécialiste des produits laitiers frais qui suggère de consommer des produits laitiers. La boucle est presque bouclée. Je précise ma position par rapport aux produits laitiers : je ne suis pas très fan du goût du lait de vache, mais j’aime les produits laitiers, beaucoup, surtout le fromage. Mais je ne comprends pas pourquoi, en dépit de toutes les études indépendantes et sans même évoquer les aspects éthiques, le PNNS continue à faire la recommandation de 3 à 4 produits laitiers par jour. Entre 21 et 28 par semaine !
Rappel : Les recommandations de l’OMS sont de 500 mg par jour de calcium. On peut très bien prendre du chou chinois (337 mg pour 100 g de chou) + des haricots blancs (154 pour 100 mg de produit) et prendre 1 jour sur deux un yaourt (228 mg) et compléter avec des sources alternatives qui ne comportent pas de lactose ni d’hormones de croissance comme l’IGF-1, et dont le taux d’assimilation du calcium est moitié mieux assimilé que le calcium laitier.
Enfants ensucrés
Mais ce n’est pas tout. Tout ce petit monde, sous l’égide du CEDUS, le principal lobby du sucre. La collective du Sucre avait été à l’initiative, mais n’est plus en lien avec la manifestation, selon ce que m’affirme au téléphone le responsable digital de Public Systeme, l’agence qui gère la com’ de l’évènement. Sur ce point, le site lanutrition.fr indique que « dans le cadre de « la semaine du goût », mais aussi avant et après, c’est-à-dire toute l’année, le CEDUS met à la disposition des « animateurs, instituteurs, responsables de centres de loisirs (…) des fiches pédagogiques pour [les] guider dans l’animation de [leurs] ateliers. Celles-ci ont pour objectif d’orienter les modules grâce à un contenu varié et ludique. Ces fiches [sont] déclinées en 2 tranches d’âges afin de toucher petits (de la maternelle au CE1) et grands (du CE2 au CM2). » Qu’aborde-t-on dans ces « fiches pédagogiques » ? Rien que du passionnant, et bien sûr du sucré… ».
Voilà, ce qui me chiffonne.
Au passage, hasard des calendriers, la Semaine du goût 2016, comme les autres, coïncide avec le lancement de la récolte de la betterave à sucre. Ce sont les raffineurs de saccharose qui vont être contents ! Les précédentes éditions l’avaient d’ailleurs mis à l’honneur : dépliants sur les recettes sucrées, animations sur les desserts dans la restauration scolaire. J’en parle également dans mon autre post sur le sucre. Autre point intéressant, l’agence de com’ m’indique également que le Ministère de l’Agriculture est partenaire, mais plus celui de l’Education Nationale, qui l’a été pendant de (trop ?) nombreuses années. Dernière preuve en date, l’accord cadre de fin 2013, qui permettait au CEDUS, de délivrer pendant 5 ans aux enseignants, aux élèves et à leurs familles une « information sur la nutrition et la santé », le tout en s’appuyant sur les recommandations du PNNS, le programme national nutrition santé (vous savez, les 5 fruits et légumes par jour). La santé, vraiment ?
Assez parlé des acteurs. Regardons les actions de la Semaine du goût 2016 :
- le label des enfants : un jury composé d’enfants de 9 à 12 ans teste et note les produits candidats. Et pour cause, la vérité sort de la bouche des enfants, comme l’indique le site. Les heureux élus industriels auront le droit d’exploiter ce label sur les produits pendant un an. Trois exemples des lauréats 2016 : Choco nussa, des gressins à tremper dans une pâte à tartiner contenant plus de 50 g de sucre pour 100 g de produits et 7,3 g d’acides saturés (source : Openfoodfacts) ; Goldessa : des petits fromages blancs pour culotte courtes : Fromage blanc (50 %) dans lequel (crème (50 %), lait (49 %), ferments lactiques), lait écrémé reconstitué, beurre, eau, protéines de lait, sels de fonte : polyphosphates, phosphate de sodium, citrate de potassium, sel. 68% matière grasse sur matière sèche, 30 % dans le produit fini. Voilà voilà. Nous avons donc trois produits de produits laitiers dérivés, 2 paquets de gâteaux et biscuits fourrés, un sachet de briochettes aux pépites de chocolat au lait et des petites gourdes de compotes de pomme, allégée en sucre. Les répartitions sont donc conformes aux partenaires : industries du lait, du sucre et des boulangeries /viennoiseries !
- les leçons de goût : une table ronde avec des chefs, cuisiniers, agriculteurs, producteurs, artisans, professionnels de la santé pour échanger avec les enfants. Au menu : « faire découvrir aux enfants le petit-déjeuner à la française en organisant dans la classe un vrai petit déjeuner comportant du pain, du lait, de la confiture et des jus de fruit ». Comprendre : si l’on ne donne pas tous ces ingrédients à nos enfants, c’est un faux petit déjeuner à la française. Tout cela sous forme ludique d’un blind test. Bon point pour les différences de pain (blanc, complet, de mie… ), pas bon pour les différences de lait (lait entier, demi-écrémé, lait écrémé), qui n’évoquent pas les laits alternatifs. Ensuite, éveil des quatre sens pour éveiller les papilles gustatives et faire découvrir les 4 principaux goûts. Le moment où intervient sans doute le fabricant d’arômes à destination d’industriels. A titre informatif, dans les conseils de bas de page : La dégustation peut également se faire grâce à un fruit ou du chocolat…des fois qu’aurait un doute !
- les animations du goût : là, il faut être professionnel (restaurateur, artisan…) pour s’inscrire. Le kit de communication mentionne qu’il faut choisir des recettes à réaliser parmi la liste suivante : rillettes de thon au basilic (deux baguettes de pain, de la crème fraiche, 4 petits suisses), poêlée de raisins miel et romarin (pas mal, elle donne envie celle-là), Samossas Chèvre et Miel (des feuilles de bricks pour les graisses saturées, du chèvre frais…), pancakes chocolat/caramel/beurre salé (500 g de farine, 6 œufs, 6 dl de lait), bouchées craquantes de concombres (2 concombres, 6 petits suisses…), mousse de betterave (8 betteraves, 12 c. à s. de crème fraiche épaisse, 4 tranches de pain de mie). Soyons précis, d’autres recettes font la part belle aux légumes (jus de carottes, citrons et oranges, compote pomme/rhubarbe… et… c’est tout.). Pratiquement à chaque fois, des produits laitiers (crème fraîche, petits suisses, lait…).
- Chefs de demain : rencontre entre les jeunes et les chefs étoilés, de Meilleurs Ouvriers de France, destiné au public des écoles hôtelières, de 8H30 à 16H30. Partenaires ? Prova, de la vanille. Bridor, pour les viennoiseries et boulangeries, et la confédération des arts de la table.
- la semaine du goût au Japon : idem, animations, concours, synposium, masterclass au pays du soleil levant et levain.
Bilan ? Avant, j’étais partagé. Je pensais qu’on ne pouvait pas toujours avoir un rapport de santé avec nos aliments et qu’il fallait bien, de temps en temps, céder au plaisir et au libre arbitre. Mais, ça c’était avant. Je n’évoque pas les questions de diabète de type 1 et 2, d’obésité, de stéatose hépatique, de cancers ou de syndrome métabolique. Aujourd’hui, en ayant un peu farfouillé, testé, échoué puis réussi plein de recettes, je sais que l’on peut maîtriser l’indice glycémique sur la plupart des repas, les quantités du sucre journalières et respecter l’équilibre acido-basique. Pour une famille de 5, au quotidien, sans multiplier par trois le « budget des courses » de mon panier du ménager de moins de 50 ans. Ni rigide ni sectaire, je sais dans quel monde vivent nos enfants, les sollicitations auxquelles ils sont confrontés dans la cour d’école, aux goûters d’anniversaires et ce qu’ils ont naturellement envie de consommer : des biscuits palatables, souvent fourrés et croustifondants (quoiqu’ils croquent volontiers dans des fruits bio lorsqu’on leur propose). Mais la Semaine du goût 2016 n’est pas dans le cadre de l’exception. L’initiative évoque des « piliers de l’équilibre alimentaire », de « vrai petit déjeuner », de « bon fonctionnement de l’organisme ». Les mots de la Semaine du goût 2016 sont sans équivoque : Par famille de couleur : besoin/fondamental/partage/Diversité. Bonheur/plaisir/lien. Innovation/compétence/famille. Faire/enfant/bien-être. Exemplarité/éducation/convivialité. Professionnels/praticité.
Apprendre le goût, transmettre, éduquer à mieux manger, moins gâcher, oui, 100 fois oui. Mais par qui ? Les industries (laitières, sucrières…). Comment ? Des actions ludo-éducatives pour « sauvegarder la culture des patrimoines culinaires » : baguette/beurre/confiture/produits laitiers/jus d’orange. J’ai dû mal lire. Les patrimoines culinaires ? baguette/beurre/confiture/produits laitiers/jus d’orange.
Pour toutes ces (longues) raisons, il me semble donc urgent que les pouvoirs publics cessent ce partenariat et qu’ils ne cautionnent plus des messages qui vont à l’inverse d’une meilleure santé de leurs futurs administrés. Et ensuite, que ceux-ci planchent sur une vraie politique de santé publique en matière d’éducation et de prévention, et accessoirement, mettent à jour les recommandations nutritionnelles à la lumière des découvertes scientifiques. Enfin, la place de l’industrie n’est pas dans les écoles maternelles. Celle-ci a d’autres moyens de diffusion (campagnes et spots de publicité, sponsoring, évènements, compte insta avec plein de légumes dessus…) pour s’assurer de futures rentes.
Pour ceux et celles qui sont allés au bout de ce papier, merci de votre lecture et de votre patience.
Votre bien dévoué,
Charly.